Amy Sillman, Peinture et impro

Traduction d’un texte paru dans la revue « Art in America », disponible sur le site d’Amy Sillman.

L’été dernier j’ai commencé à aller à des spectacles et à participer à des ateliers pour en savoir plus sur l’impro théâtrale. Cette envie de découvrir l’impro est liée à mon intérêt de longue date pour les notions de spontanéité et de processus. J’ai toujours peint sans aucun plan. Ce n’est pas que je ne sais pas ce que fais, ou que je peins sans m’arrêter ou que je ne prends pas de décisions. Mais je travaille à l’instinct.

J’ai travaillé de cette manière pendant des années, bien avant que je ne commence à avoir une approche analytique de la notion de spontanéité. Je me suis intéressée aux théories de l’improvisation, j’ai lu des livres et des articles de George Lewis, qui enseigne le jazz à Columbia et qui a été mon collègue à l’université Bard. J’ai toujours été intéressée par le langage, mais je me suis rendue compte peu à peu que j’étais plus intéressée par la parole que par l’écriture, par le fait qu’on ne sait pas ce qu’on va dire avant de le dire.

J’aime beaucoup les spectacles comiques, et un ami m’a présenté Hollis Witherspoon, une comédienne qui donne des cours d’improvisation pour des artistes. Je me suis inscrite à son cours, j’ai ensuite participé à d’autres ateliers et j’ai assisté à quelques spectacles. Ce qui me plaît dans l’impro c’est qu’elle nous amène à voir ce qui passe à l’intérieur des gens alors qu’on est en train de les regarder. J’aime les moments qui ne sont pas strictement comiques, j’aime cette finesse d’esprit, j’aime la rapidité des situations. J’aime les moments où l’on ressent une gêne. Dans ces moments, on peut littéralement voir à quel point les gens se contrôlent. Ils vont jusqu’aux limites de leur zone de confort : certains n’osent pas en sortir, d’autres si. On peut voir que certains se figent, alors que d’autres cherchent plus avant. On peut voir les effets physiques de la peur lorsqu’ils s’approchent d’une autre personne. La gêne ou la facilité à interagir avec autrui se lisent sur leur corps.

Ce que j’ai appris dans ces ateliers, c’est que l’impro est une moins une forme de l’art dramatique qu’un art de l’adaptation. C’est le lien avec la peinture. La peinture c’est un art de la réaction rapide. Lorsque qu’on fait de la peinture, il faut savoir travailler avec des choses qui surgissent en une seconde, il faut savoir recommencer ou faire avec. En peinture, on peut revenir en arrière et se repentir – gratter un coup de pinceau, l’effacer. En impro, il n’y a pas de retour en arrière.

La plupart des exercices dans le cours de Hollis avaient pour but de développer l’empathie entre les différents comédiens – il fallait penser à ce qu’ils étaient en train de ressentir et apprendre à anticiper leurs réactions. En impro c’est l’interaction sociale qui est importante, plus que la pensée individuelle.

Lorsqu’on peint on est en relation avec un objet. La peinture sur la toile est presque comme une version extériorisée de nous-mêmes, un alter ego. Il y a des surprises. Ça peut mal tourner. Il y a des moyens de se duper soi-même, et on ne sait pas ce qui va se passer ; c’est alors qu’il faut décider si on s’arrête ou si on continue. On n’est pas toujours sûr.

Une des choses qui m’intéresse le plus, c’est le fait de ne pas savoir. C’est ça la peinture selon moi. La peinture a certainement à voir avec la réflexion, mais une c’est une forme de pensée qui ne relève pas de la connaissance pure ou de l’analyse. Ça n’a rien à voir avec des relations de causalité. Dans l’impro, le matériau est le langage qui est censé notre outil de communication. Mais dans l’impro le mouvement du langage n’est pas celui d’une conversation ordinaire. Ca peut être une mauvaise surprise et même une foirade totale. Mais ça peut aussi nous emmener très loin. On est partagé : on contrôle les choses, on ne contrôle rien ; on sait, on ne sait rien. La pratique de la peinture donne accès à un espace limite de non-esprit et de non-corps. La peinture, comme l’impro, consiste à aller jusqu’aux limites du langage.

J’ai toujours dit que la seule chose que j’aime est le changement. J’en ai peur plus que tout, mais je ne peux pas m’empêcher de le chercher. En impro, on est forcé à des changements rapides et constants. Si je vous regarde bizarrement, ou que je prononce une phrase à laquelle vous ne vous attendez pas, vous êtes obligé de dire : « Oui, et… ». La règle en impro est de prendre acte de ce que je viens de dire et de vous y adapter. C’est comme deux poissons qui nagent l’un autour de l’autre et qui réagissent ainsi aux courants aquatiques et aux mouvements de leurs corps. Le changement est tout, n’est-ce pas ?